Faire grandir dès maintenant une « Espérance de catastrophe »
Stéphane Lavignotte, pasteur de la Fraternité de la Maison Ouverte de Montreuil (93) se demande ce que devient l’Espérance quand la catastrophe – climat, victoire de l’extrême-droite… - devient certaine. Il plaide pour faire grandir dès maintenant une « Espérance de catastrophe » comme on dit « bouée de sauvetage ».
La Mission populaire, dans la tradition du christianisme social protestant a toujours donné beaucoup d’importance au Royaume et à l’Espérance. Nous avons l’Espérance que le Royaume viendra. Dans les situations difficiles que nous connaissons, nous avons la certitude que demain sera meilleur qu’aujourd’hui car demain, il y aura le Royaume : le monde d’aujourd’hui s’interrompra et sera remplacé par un Royaume où la paix, la justice et l’amour régneront. Mais que devient cette Espérance quand la crise écologique et l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir semblent inéluctables ? Quand demain il y aura assurément la catastrophe, que devient l’Espérance ? Ne faut-il pas une « Espérance de catastrophe », non pas que nous l’espérions, mais une Espérance pour faire face à la catastrophe ?
L’Espérance perd espoir
J’étais enfant dans les années 1970 puis adolescent dans les années 1980. L’Espérance du Royaume nourrissait les rêves politiques de ce monde : puisque Dieu installerait un jour LE Royaume, nous humains, nous arriverions bien à créer une société vraiment belle et juste, utopie socialiste espérée pendant longtemps puis écologiste. Une anticipation humaine du Royaume. Mais avec la prise de conscience de la réalité des régimes de l’Est puis leur effondrement, la trahison de la social-démocratie, l’installation du capitalisme comme « n’ayant pas d’alternative » et le piège de la mondialisation économique, cette Espérance s’envola. Avec les années 1990 et la prise de conscience de la crise écologique, l’Espérance est venue au secours de mon optimisme et de mon volontarisme : puisque le Royaume est certain, l’Espérance me donne une force, me donne l’optimisme qu’avec du volontarisme, avec des paroles et des gestes prophétiques, nous pourrons éviter la catastrophe et de cette bifurcation naîtrait un autre monde.
Mais année après année, j’ai vu l’extrême droite installer son discours et sa vision du monde, les partis gestionnaires de droite comme de gauche reprendre les mêmes mots et raisonnements puis faire sa politique, voir par exemple la dernière loi immigration du gouvernement français ou le pacte asile-immigration au niveau européen. Les migrants, les musulmans, les personnes les plus faibles de notre société être de plus en plus mal traités. La société se replier, malgré une jeunesse de plus en plus généreuse, engagée, consciente. J’ai vu qu’aucun changement de direction sérieux n’était opéré pour éviter la catastrophe écologique. Nous allons vers les 2°C de plus, l’enjeu est d’éviter les 3,5°C mais les conséquences seront – et sont déjà – dramatiques.
Tenir et risquer
Dans cette situation, que devient l’Espérance ? Elle n’est plus Espérance d’une société rêvée, ni même d’éviter la catastrophe. Elle est une « Espérance de catastrophe » comme on dit un « Gilet de sauvetage ». Elle se voit dans des histoires d’hier et d’aujourd’hui où les personnes n’imaginent pas d’issue.
Dietrich Bonhœffer avec l’Église confessante résiste au nazisme en animant des séminaires clandestins pour former des pasteurs résistants… qui sont arrêtés par les nazis. Bonhœffer est en prison. Le Reich semble installé pour mille ans. Son Espérance n’est guère plus que celle d’avancer un pas devant l’autre comme une cordée en montagne sous une tempête de neige qui ne s’arrête pas. Il suit un guide qui est Jésus. Il n’y a que ça à faire, il n’y a plus de choix. Comme les Justes qui ouvrent leur porte pendant la guerre aux juifs : « Que vouliez-vous que nous fassions d’autre ? » se justifient-ils des décennies plus tard quand on les interroge. L’Espérance est à la fois devant, c’est Jésus le guide et elle n’est pas devant (comme un futur meilleur) mais en moi : elle décide pour moi quand ma volonté n’y croit plus, l’éthique n’est plus choisir mais tenir. L’Espérance est alors un « tenir bon », ténacité plutôt que courage.
L’Espérance est Jean Joussellin et les éclaireurs et éclaireuses de la Maison Verte (Fraternité de la Mission populaire dans le 18e arrondissement de Paris) qui cachent une centaine d’enfants et d’adultes juifs dans un château de l’Oise à quelques centaines de mètres d’un camp allemand. Pour des ami.es qui ne l’étaient peut-être pas avant que je ne leur ouvre la porte, je peux mourir car j’ai l’Espérance que la vie ne finit pas. L’Espérance est alors un « risquer sa vie pour ses ami.es ».
Accueillir et chérir
Le SDF, le migrant qui rentre dans les Fraternités de la Mission populaire, prend un café, il est immédiatement chez lui. Comme l’Espérance qui dans les rêves d’Ésaïe est la fraternité du loup et de l’agneau, de l’enfant qui dort sur le nid du serpent, l’Espérance est « accueillir sans condition », fraternité immédiate de celle ou celui différent de moi.
Il n’y a presque aucune chance que ce migrant ou ce SDF ait des papiers, un logement ou même une chambre d’hôtel ce soir. Mais il a déjà une maison. Ici les agriculteurs sont piégés dans le modèle qui détruit la planète et eux avec. Mais à côté, des paysans et des consommateurs inventent autre chose. L’Espérance n’est pas devant dans le temps, elle est devant moi spatialement : elle est cette petite salle, peut-être un peu décrépie ou ce petit marché sur une petite place de village. On y prend soin les uns des autres, on écoute nos petites joies et nos découvertes, nos deuils et nos tristesses. Tentent de s’y vivre déjà, maintenant, petitement, failliblement le Royaume de fraternité, d’amour et de réconciliation. Bonhœffer qui dit « non » à l’inhumanité nazie écrit à sa femme que l’amour qui se manifeste dans leurs lettres est un « oui ». L’Espérance permet de dire « oui » dans le « non ». L’Espérance est un « chérir les petits bouts de Royaume » que nous arrivons à anticiper dans ce monde-là.
Faire grandir l’ « Espérance de catastrophe »
L’Espérance comme un « tenir bon », un « risquer sa vie pour ses amis », un « accueillir sans condition », un « chérir nos petits bouts de Royaume »… à chaque fois, nous faisons intervenir un facteur radicalement différent, pour reprendre une formule de Jacques Ellul : le « oui » dans le « non », l’hospitalité dans le rejet, l’amour dans l’égoïsme, la Fraternité dans l’altérité, la non-puissance dans l’enivrement de la puissance, le Royaume dans la dictature…
A nous de préparer cette « Espérance de catastrophe » en créant, soutenant, approfondissant des lieux, comme les Fraternités de la Mission populaire, où nous faisons grandir un « facteur radicalement différent » que l’hiver qui vient.
Pour aller plus loin : https://www.youtube.com/watch?v=MjOdwf-zBf4
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