Pour qu'aucun petit billet de cinq euros n'humilie plus personne
Valérie Rodriguez, équipière-directrice de la fraternité de la Mission populaire de Trappes s'interroge sur l'équilibre entre personne qui donne et personne qui reçoit via une histoire qu'elle tire du terrain.
Ce matin je reçois Yasmina * ; elle voudrait de l’aide pour aller sur internet faire une demande de carte famille nombreuse sur le site de la SNCF.
Yasmina est une belle jeune femme d’une quarantaine d’année, elle attend son neuvième enfant. Elle vit au sein d’une famille polygame et souffre beaucoup de la situation. Son mari est officiellement marié à une autre femme avec laquelle il a deux enfants. Il vient chez Yasmina deux ou trois fois par semaine, mais ne subvient pas aux besoins de la famille. Yasmina et sa co-épouse se connaissent, mais ne s’apprécient pas beaucoup, elles se tolèrent l’une l’autre, pour les enfants, pour cet homme qui passe d’une maison à une autre et auquel elles sont vaguement attachées. Mais la souffrance est là, bien réelle, tangible dans chacune des phrases que prononce Yasmina.
Tout en papotant autour d’un café, j’avance dans la démarche en ligne pour obtenir cette fameuse carte « famille nombreuse ». Bien sûr, il manque des papiers que Yasmina s’empresse d’aller chercher chez elle. Nous téléchargeons les différents documents. Il manque encore une photo d’identité de la petite dernière. J’explique à Yasmina que je peux mettre le dossier en attente quelques instants et qu’il faut qu’elle parte tout de suite pour faire cette photo officielle afin que je puisse valider la demande. Mais Yasmina me répond que c’est impossible et qu’il faudra attendre la fin du mois. Bêtement, je demande pourquoi… Yasmina m’explique que ces photos coûtent 5 euros, qu’elle n’a pas encore touché les allocations familiales et qu’il n’est pas possible pour elle de dépenser cette somme non prévue dans ses dépenses. Dans ma tête, ça tourne à toute vitesse. Pour me donner un peu de temps, je bois quelques gorgées de café. Si je lui donne cet argent, va-t-elle se sentir vexée, humiliée, rabaissée ? Si je ne le donne pas, va-t-elle penser que je suis égoïste, que je ne pense qu’à moi. Je sais que dans mon portefeuille dort un billet de 5 euros, mais je ne sais pas quoi faire. Je finis par lui proposer ce billet. Elle accepte en me remerciant avec effusion et je me sens encore plus mal à l’aise.
Trente minutes plus tard, Yasmina revient avec la photo d’identité de sa dernière fille. Nous validons le dossier et là, surprise, il faut encore payer 18 euros pour obtenir la carte… Elle me regarde désespérée et dit qu’elle est désolée, qu’elle ne savait pas qu’il fallait payer encore, qu’elle n’a pas de carte bleue ni d’argent, elle se désole de m’avoir fait perdre mon temps. À nouveau, je suis prête à payer ces 18 euros, mais j’hésite… Je ne sais pas comment elle va le prendre, cela pourrait ressembler à un acte de "charité agacée ". Je voudrais qu’elle sache que pour moi le manque d’argent ne met pas une personne au-dessous d’une autre, que le fait de lui donner cet argent ne la rend redevable de rien, que j’ai la chance d’avoir ces 18 euros sur mon compte et que je peux les donner facilement. Mon café me sert de nouveau d’alibi pour réfléchir un peu. Je lui propose de lui prêter cet argent et lui explique qu’elle pourra le rendre quand elle pourra, quand elle voudra. Elle semble soulagée. Elle part ravie en me remerciant de nouveau durant un long moment.
Je médite quelques instants sur ce proverbe qui me revient à l’esprit à ce moment précis : "La main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit". Je voudrais tant que ces deux mains soient l’égale l’une de l’autre, que cette femme ne se sente pas gênée par son manque d’argent, qu’elle puisse faire elle-même cette démarche en ligne sans avoir à demander ni d’aide ni d’argent… Je sais que c’est aussi le travail que nous menons dans nos fraternités de la Mission Populaire : faire reculer les injustices, rendre autonomes les hommes et les femmes que nous accueillons pour que plus jamais, un petit billet de 5 euros ne puisse humilier une personne.
*Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat de la personne concernée
Valérie Rodriguez est équipière-directrice de la Miss’ Pop’ de Trappes (78), Fraternité de la Mission populaire évangélique.
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