Squats expulsés, familles et associations en danger
L’entrée en vigueur en juin 2023, de la « loi Kasparian » révèle ses conséquences désastreuses pour les dizaines de milliers de personnes sans solution de logement et d’hébergement et les associations qui leur viennent en aide bénévolement. Une loi qui vient bafouer le devoir fondamental d’hospitalité prôné par l’Ancien Testament.
Depuis quelques semaines à la Maison Ouverte, nous recevons des SOS. Une association qui organise des ateliers artistiques et d’écriture pour des mineurs étrangers à la rue, une autre qui prépare des centaines de repas pour des personnes en difficultés, des femmes africaines qui ont trouvé refuge dans un bâtiment vide… Toutes risquent d’être expulsées dans les prochaines semaines de squats qu’elles occupent et nous demandent si nous pouvons les accueillir. À Montreuil et aux alentours, de nombreux bâtiments vides et occupés par des habitants et des collectifs militants sont menacés d’expulsion. Leurs propriétaires n’ont pas subitement des projets pour ces bâtiments qu’ils avaient souvent laissés à l’abandon depuis des années. Il n’y a pas seulement la volonté de la préfecture de « faire le ménage » avant les Jeux olympiques. Il y a l’entrée en vigueur de la « loi Kasparian », votée en juin 2023, du nom de son auteur, un député Renaissance devenu depuis… ministre du Logement !
Les principes de fraternité et de solidarité mis à mal
Cette loi condamne jusqu’à deux ans de prison et 30 000 € d’amende les personnes et familles qui, faute d’hébergement d’urgence, se mettent à l’abri dans des logements inhabités, des bureaux vides, des bâtiments industriels ou agricoles désaffectés, ainsi que les salarié·e·s qui occupent leur lieu de travail dans le cadre d’un mouvement social. Elle accélère la procédure d’expulsion locative, court-circuite les dispositifs de prévention déjà fragiles et retire au juge le pouvoir de suspendre l’expulsion quand il l’estime possible et nécessaire. Elle entrave le travail d’information, de témoignage et d’accompagnement des associations et collectifs intervenant auprès des personnes vivant en lieux de vie informels par la création d’un nouveau délit de propagande ou de publicité facilitant le squat, puni de 3 750 € d’amende. Et autres choses sympathiques. Pour la Fédération des acteurs de la solidarité, qui regroupe les principales associations du secteur, « le texte ne se contente pas de dénier le droit à un logement décent et indépendant aux personnes sans-abri et mal-logées, il bafoue au-delà les principes cardinaux de fraternité et de solidarité, de nécessité et de proportionnalité de la loi pénale, d’égalité devant la loi, les droits de la défense et à un recours effectif, et la liberté d’expression ».
L’hospitalité : un devoir fondamental
Alors que près de 160 000 personnes sont toujours en attente de logement social, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui risquent de se trouver à la rue. Ce sont aussi des centaines d’associations et de collectifs qui risquent de perdre leur local alors que pourtant, gracieusement et de manière militante, leurs bénévoles donnent à manger, aident à l’accès au droit, apprennent le français, accompagnent dans la scolarité... Le droit au logement est un droit opposable depuis une loi de 2007. Mais il n’est pas opposable quand on se réfugie dans un bâtiment pourtant laissé à l’abandon ? Dans l’Ancien Testament, on voit combien l’hospitalité est un devoir fondamental : je t’héberge, car moi-même, demain, qui sait si je n’aurai pas besoin d’être hébergé ? Je t’héberge, parce que je sais que sans toit, c’est ton humanité qui risque en très peu de temps d’être fondamentalement abîmée physiquement, psychologiquement et moralement. Triste est la société qui fait prévaloir le droit de propriété même d’un bien qu’on laisse vide, sur celui de protéger l’humanité de chacune et chacune...
Stéphane Lavignotte, pasteur de la Maison Ouverte de Montreuil
(c) Illustration : Jean-Pierre Molina
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