Les figures successives du Christ à la Mission Populaire
Comment s’est incarné le Christ au fur et à mesure de l’histoire de la Mission populaire ? Intervention Bruno Erhmann, président de la Maison Verte et historien de la MPEF, lors des journées de rentée d’octobre 2021.
Le christ est républicain et anticlérical à la fin du dix-neuvième siècle
Le révérend Mac All quand il vient à Paris dans le quartier de Belleville a déjà une longue expérience en Angleterre. Fils de pasteur méthodiste ayant lui-même exercé dans des communes populaires au service d’églises « non conformistes », il conteste les églises officielles considérées comme trop formelles et trop bourgeoises. Comme tout le mouvement du Réveil en Angleterre, il centre sa prédication sur la possibilité pour le croyant de communiquer directement par la prière avec le Christ présenté comme un ami qui aime le peuple et comprend ses misères, qui est prêt à pardonner et à conduire vers une vie nouvelle en libérant notamment de l’alcool et du mépris des femmes.
Il arrive en France au lendemain de l’écrasement de la Commune de Paris. Dans les milieux ouvriers, le catholicisme est alors déconsidéré par ses prises de positions favorables aux Versaillais et le protestantisme est très faible et très divisé entre orthodoxes, libéraux et évangéliques qui se font une guerre d’influence sans merci. La République est proclamée, mais aucune liberté n’est encore assurée. Les libertés d’opinion, de publication, de réunion, d’association… n’arriveront que plus tard. Soutenu par les autorités anglaises de son église d’origine, Mac All pense pourtant que le moment est venu de « protestantiser » la France. Une nation sans religion majoritaire officielle est encore impensable et bon nombre d’intellectuels contemporains comme l’historien Edgard QUINET ont la conviction que le protestantisme est la religion normale des pays démocratiques comme la Suisse protestante, la Hollande ou l’Angleterre. La France va donc « tomber protestante » en devenant républicaine.
Le titre de l’un des premiers livres de propagande en langue anglaise destiné à lever des fonds pour l’œuvre de Mac All est significatif : « A Cry from the land of Calvin and Voltaire » ( un cri, une plainte, un appel du pays de Calvin et Voltaire). Ce titre est tout un programme. Il note que sans la révocation de l’Édit de Nantes, la France serait le pays du calvinisme et Voltaire est cité bien sûr pour avoir défendu la liberté de penser du protestant Callas mais aussi pour son anticléricalisme. La prédication de Mac All a comme but de sortir les catholiques français de la superstition et de l’emprise des curés pour leur présenter « une religion de vérité et de réalité (ou de liberté) » que les ouvriers de Paris soient prêts à entendre.
Au sortir de l’empire autoritaire où toute réunion de plus de vingt personnes était soumise à autorisation préalable, les conférences publiques organisées par Mac All dans les quartiers ouvriers de Paris sont tolérées par la Préfecture de Police et ont un très grand succès. Le premier comité directeur de la Mission Mac All auprès des ouvriers de Paris comprend, outre des anglais recrutés pour la mission, des pasteurs de toutes les tendances du protestantisme français, notamment Tommy FALLOT et Paul PASSY, fondateurs et théoriciens du futur « christianisme social ».
Le Christ est socialiste pour la génération du début du vingtième siècle.
Charles GRIEG, pasteur écossais succède au pasteur MAC ALL. Assez autoritaire et soumis au comité de soutien des donateurs britanniques, il est contesté par une nouvelle génération de jeunes pasteurs fortement influencés par la théologie de Tommy FALLOT. Elie GOUNELLE puis Freddy DÜRRLEMAN à Roubaix, Henry NICK à Fives-Lille et Emmanuel CHASTAND à Nantes trouvent que les consignes de la direction sont « vieux jeu » et trop individualistes. Ils veulent changer la société pour la rendre plus juste.
Ils estiment qu’un chrétien conséquent est forcément socialiste et qu’un socialiste conséquent est forcément chrétien protestant. Ils sont à l’origine de la désignation de « Solidarités » et de « Fraternités » pour les postes de la Mission Populaire. Elie GOUNELLE quittera Roubaix pour devenir avec Wilfred MONOD l’un des principaux théoriciens et animateurs du mouvement du Christianisme Social. Il restera toute sa vie complice d’Henry NICK qu’il a fait venir dans le Nord. Freddy DÜRRLEMAN, qui s’affirmait le plus « à gauche » jusqu’en 1913 est devenu une figure de la droite antibolchévique de l’entre-deux guerres. Henri NICK restera toute sa vie en poste à Fives-Lille d’où, sans jamais avoir de responsabilités officielles, il aura une influence considérable sur les générations suivantes de permanents de la Mission Populaire.
Le Christ est pacifiste, réconciliateur et œcuménique dans l’entre deux guerre :
Henri ROSER qui, mobilisé en 1918, a connu les horreurs de la guerre fait ses études de théologie protestante à Paris et se destine à devenir missionnaire quand en 1923 les troupes françaises occupent la Ruhr. Convaincu que comme chrétien, il doit délivrer un message de paix et éviter à tout prix une nouvelle boucherie, il renvoie son livret militaire au ministre des armées et se déclare objecteur de conscience. Les églises protestantes lui refusent la consécration pastorale et il se voit aussi refuser par la Maison des Missions de partir comme pasteur missionnaire. Alors qu’il s’apprête à prendre un travail de gratte-papier, Henri NICK lui écrit : Qu’est-ce-que ça signifie ? Vous allez gratter du papier alors que vous avez été appelé à annoncer l’Évangile ! Venez tout de suite à Fives. Nous sommes deux, nous serons trois, il y a bien du travail pour tous.
À Paris, la Mission Populaire est embarrassée par cette initiative, mais Henri NICK écrit : Monsieur ROSER leur faisant l’honneur de venir travailler avec eux, les responsables du Foyer du Peuple se font un honneur de demander à la Mission Populaire un traitement pour lui.
Henry ROSER est stagiaire à Fives Lille pendant deux ans. Il cofonde le Mouvement International de la Réconciliation. Toujours refusé par les milieux officiels protestants, il fonde tout seul en 1926 avec sa femme le Foyer Fraternel d’Aubervilliers sur le modèle des fraternités de la Mission Populaire.
Dans les années 1930, deux nouveaux étudiants en théologie, Philo VERNIER et Jacques MARTIN se déclarent objecteurs de conscience. N’ayant pas effectué leur service, ils sont jugés par un tribunal militaire. Henri NICK vient de nouveau témoigner à leur procès. Ils ont comme avocat André PHILIP, socialiste chrétien et futur ministre du Général de Gaulle. À leur sortie de prison, Philo VERNIER sera stagiaire à deux reprises de Henry NICK à Fives et Jacques MARTIN ira rejoindre Henri ROSER à Aubervilliers. La Mission Populaire est à l’époque la seule institution protestante qui reconnaisse leur qualité de pasteur.
Ils participeront dans l’entre-deux guerres à toutes les initiatives du mouvement œcuménique naissant et multiplieront les rencontres entre travailleurs français, allemands et anglais. En 1939, de manière conséquente, ils refuseront de porter les armes. Henri ROSER sera condamné à quatre ans de prison pour désertion, Philo VERNIER partira en Belgique où il sera mineur de fonds et Jacques MARTIN, qui a fait de la prison, est considéré comme inapte par un médecin militaire de l’hôpital psychiatrique de Marseille.
Cette bande de pacifistes, comme leur ami le pasteur André TROCMÉ du Chambon sur Lignon et avec eux la grande majorité des permanents de la Mission Populaire ont trouvé leur manière de résister en sauvant au péril de leur vie des juifs pourchassés, des réfractaires au STO et des résistants.
Le Christ est pendant la deuxième guerre mondiale juif pourchassé par les Nazis et leurs collaborateurs.
Henri NICK est au Chambon sur Lignon en 1940. Il a soixante-dix ans et s’occupe de sa fille muette. Il rentre pourtant à Lilles et organise avec l’un de ses fils médecin et sa belle-fille un réseau clandestin pour cacher des juifs et des résistants. Il est reconnu juste parmi les nations. Henri ROSER et Jacques MARTIN sont pour les mêmes raisons justes parmi les nations.
Jean JOUSSELIN, permanent de la Maison Verte en 1942 organise avec sa future épouse et un tout jeune responsable éclaireur, Jacques WALTER, la mise à l’abri d’une bonne centaine d’enfants juifs dans le nord de l’Oise et ce jusqu’en 1945.
Éric GARIN, pasteur permanent du Picoulet exfiltre des enfants juifs du quartier vers la Suisse en organisant des colonies de vacances. Francis et Vera BOSC permettent à plusieurs jeunes de Grenelle d’échapper au STO. La liste que je dresse est sûrement loin d’être exhaustive. Sans jamais porter des armes, ils ont fait une résistance remarquable à l’occupation.
Le Christ de la Mission Populaire est dans les années 1950 ouvrier syndicaliste CGT luttant contre l’armement atomique et refusant la guerre froide après Hiroshima.
En pleine guerre, en même temps que démarrent les prêtres ouvriers dans l’église catholique, se constitue autour de Henri NICK, Henri ROSER, Jean JOUSSELIN, Charles WESTFALL et Francis BOSC, un groupe de réflexion avec des ouvriers et ouvrières issues des fraternités qui se rencontre à Gouvieux dans l’Oise pour préparer une grande campagne d’évangélisation et de solidarité avec le monde ouvrier dès la paix revenue.
Prise de position en faveur des époux ROSENBERG condamnés à mort aux États-Unis, adhésion au Mouvement de la Paix, lutte contre l’anticommunisme en France, soutien aux grévistes de Citroën, mais aussi présentation du Christ comme le travailleur de Nazareth proche des revendications de justice sociale des ouvriers et de leur seul syndicat représentatif, la CGT.
La Mission Populaire, notamment à Grenelle, sera solidaire et très proche des prêtres ouvriers quand ils seront condamnés par Rome en 1954. Dans le cadre du développement de l’œcuménisme catholiques-protestants se constitue un rapprochement des gauches chrétiennes qui a perduré au moins jusqu’en 1968.
La Mission Populaire comme l’ensemble de la Gauche chrétienne a été ébranlée par les révélations d’après-guerre sur le Stalinisme puis par l’intervention soviétique en Hongrie en 1956.
Le Christ est auprès des colonisés luttant pour leur indépendance et menacés d’exécutions sommaires et de tortures entre 1957 et 1962 :
En 1957, Etienne MATHIOT, alors pasteur à Belfort, est accusé avec une militante des Jeunesses Étudiantes Chrétiennes d’appartenir à un réseau de solidarité avec le FLN ayant organisé le passage en Suisse d’un militant algérien indépendantiste important. Il s’était en réalité substitué à son beau-frère, le pasteur Jacques LOCHARD, à qui il voulait éviter un jugement. Charles WESTFALL, André PHILIP, Georges CASALIS, Paul RICOEUR et quelques autres témoignent à leur procès très médiatisé qui se transforme en charges contre les guerres coloniales et dénonciation de la torture pratiquée massivement par l’armée en Algérie.
Condamné à huit mois de prison et rapidement libéré, Etienne MATHIOT est devenu inemployable dans une paroisse de l’Église Réformée de France ou de l’Église Luthérienne. Henri ROSER, devenu en 1956 secrétaire général de la Mission Populaire, fait pour lui ce qu’Henri NICK avait fait en 1923 : il l’appelle à devenir pasteur permanent de la fraternité d’Arcueil. La MPEF prend clairement parti pour l’indépendance de l’Algérie. La Fraternité de Grenelle est perquisitionnée par la DST pour avoir autorisé une réunion considérée comme pro FLN.
Une nouvelle génération de jeunes pasteurs conscientisés par Georges CASALIS à la faculté de théologie de Paris choisissent de s’engager à la Mission Populaire. Le Christ est en France auprès des immigrés s’entassant dans les bidonvilles et travaillant dans tous les métiers les plus pénibles de l’industrie et du bâtiment. Après à la guerre d’Algérie, la place de la MPEF est auprès des ouvriers sur les lieux de travail.
À la suite de Xavier Michel JAFFART et des prêtres ouvriers, un bon nombre de permanents intellectuels de la Mission Populaire choisissent de pendre un travail manuel déqualifié pour être plus proche de la condition ouvrière. Parmi les plus connus, on peut citer Pierre GIPOULOUX à Rouen, André LEENHARDT à Marseille, Alastair HULBERT à Roubaix ou encore Jack et Éliane MOTTET à Fos-sur-Mer. Dans la foulée de mai 1968, la CIMADE, La Mission Populaire et la Fédé étudiante ont pris des positions situées très « à gauche ».
Observant que Nanterre était à la fois ville ouvrière de la ceinture rouge de Paris, ville d’immigration algérienne ancienne organisée depuis la guerre d’indépendance et ville universitaire d’où était partie la contestation étudiante, l’aumônerie protestante, la MPEF et la CIMADE ont décidé ensemble de nommer chacun un permanent pour accompagner la révolution en marche. Michel FORGET, qui avait terminé ses études de théologie en 1965 a été nommé par l’ERF aumônier à la fac. Blaise VAUCHER, pasteur suisse recruté par la MPEF, s’est installé avec sa famille dans la cité des Canibouts à Nanterre, construite par la SONACOTRA pour résorber le bidonville du Petit Nanterre, et s’est fait embaucher comme OS toupilleur à l’usine Dassault d’Argenteuil. Mes études de théologie terminées en 1968, après deux ans passées en coopération dans le sud tunisien comme prof de maths, j’ai été recruté par la CIMADE pour être le troisième larron protestant.
Michel FORGET contacté par moi a rapidement déclaré qu’il était là pour préparer son agrégation de philosophie et qu’il ne fallait pas compter sur lui pour traîner dans les bidonvilles et dans les « comités Palestine » ; que sa contestation était intellectuelle et qu’il resterait à l’université. Avec Blaise VAUCHER, en revanche, nous avons bien travaillé ensemble pendant deux ans. Il m’a fait recruter comme alphabétiseur par le Comité d’Entreprise Dassault pour les nombreux ouvriers marocains de l’usine et nous avons ensemble mené des luttes dans les hôtels garnis et le foyer SONACOTRA qu’ils habitaient.
À partir de 1972 et de l’assassinat de Pierre OVERNEY, Blaise est de plus en plus reconnu par son syndicat CGT jusqu’en devenir permanent chargé de la formation en 1976 pendant que j’étais de plus en plus lié aux « Secours Rouges » et aux « Comités Palestine » animés par les Maoïstes de la Gauche Prolétarienne détestés par la CGT. En 1973, je me suis moi-même engagé comme ouvrier dans la métallurgie pour cinq ans et demi, mais j’ai milité à la CFDT.
Nous nous entendions personnellement très bien mais nous n’avons pu que constater qu’il nous était alors impossible de continuer des actions communes.
La convergence des luttes entre étudiants, ouvriers et immigrés n’a pas mieux fonctionné chez les militants protestants que dans le reste de la société. Dans la même période et dans le même mouvement vers l’ouvrier, la Mission Populaire a cherché à s’implanter de nouveau dans les quartiers où étaient reléguées les populations ouvrières. Guy BOTINELLI, créateur et principal animateur les Équipes Ouvrières Protestantes, a été le grand artisan de ce mouvement en s’implantant dans la ZUP de Valentigney avec les ouvriers de chez Peugeot puis à Lyon-La Duchère. La fraternité de Trappes s’est créée dans le même esprit.
Le Christ est féministe à la Mission Populaire dans les années de lutte pour la libération des femmes.
Plusieurs fraternités dont notamment Arcueil et Le Picoulet avec Simonne IFF participent activement avec le mouvement Jeunes Femmes au développement du planning familial puis au combat pour la légalisation de l’avortement. Les anciens d’Arcueil m’ont raconté que la municipalité communiste avait organisé contre la fraternité une manifestation menée par Madame Jeannette VERMERCH-THOREZ, membre du comité central du Parti Communiste et veuve de Maurice sur le thème : « Le planning familial à Arcueil est une manœuvre de la bourgeoisie pour empêcher les ouvriers d’avoir des enfants ».
À la même époque s’organisent des activités spécifiques avec des femmes issues de l’immigration dans la grande majorité des postes de la Mission Populaire.
Le Christ est aussi anti-impérialiste et tiers-mondiste. Les théologies de la libération et le soutien aux victimes des dictatures en Amérique latine mobilisent les postes Mission Populaire dans les années 1970-1980.
Toute notre génération a été fortement impressionnée par la lutte non-violente de Martin Luther King pour les droits civiques des noirs aux États-Unis, par les protestations contre la guerre du Vietnam et par la lutte contre l’impérialisme américain organisant la misère et la dictature en Amérique Latine.
Les théories de Paolo FREIRE sur la conscientisation des peuples opprimés ont été étudiées dans les rencontres de la Mission Populaire à l’époque. La théologie de Jurgen MOLTMAN est traduite en français et Georges CASALIS va enseigner à Managua.
Don Elder CAMARA, évêque des pauvres du Brésil et Camilo TORRES, jésuite mort en ayant rejoint la guérilla armée de Colombie sont devenus des références et des modèles pour les permanents.
Les théologies de la libération ont irrigué les liturgies de nos cultes et nos fraternités ont popularisé des luttes antiimpérialistes et le soutien aux réfugiés fuyant les dictatures brésilienne et chilienne.
Pendant toute son histoire, la Mission Populaire a su se tenir hors des églises instituées pour délivrer aux dominés, aux discriminés et aux exploités un message de réalité et de liberté en leur présentant une figure de Christ qui soit parlante, laïque et mobilisatrice.
Depuis la fin du siècle dernier, quelles sont les figures du Christ qui nous accompagnent dans nos engagements ?
A considérer la vie quotidienne des fraternités, Le Christ des années 2000 est sûrement proche de ceux qui, très nombreux dans nos quartiers, sont touchés par la précarité et le chômage.
Le Christ de ce siècle est aussi certainement antiraciste, féministe et inclusif.
La majorité des équipiers recrutés récemment à la Miss Pop sont des femmes d’origines et de formation fort diverses et notre première secrétaire générale a pris ses fonctions cette année. Une femme lui succèdera prochainement.
Les compagnons de Mac All n’auraient certes pas pu imaginer que la Mission Populaire serait pionnière en matière de bénédiction de couples de même sexe à la Maison Verte et que le Christ y serait ironiquement présenté comme le résultat d’une gestation pour autrui avec deux papas et une maman.
Le Christ de la Mission Populaire est aussi avec les réfugiés qui nous arrivent de toutes les zones de guerre et de misère au péril de leur vie. Il est aussi sûrement proche des soucis écologistes et climatiques contemporains, mais savons-nous bien le traduire dans nos frats et en rendre témoignage ?
C’est l’objet de nos rencontres et la raison de nos retours sur le passé.
Si j’ai encore dix minutes, j’aimerais compléter ce rapide survol par le parcours dissident de deux enfants incontestables de La Mission Populaire, Ruben SAILLENS et Freddy DÜRRLEMAN.
Grande complicité puis première grande rupture avec Ruben SAILLENS
Parmi les premiers compagnons de Mac All se trouve un jeune poète enthousiaste, remarquable orateur et républicain passionné, Ruben SAILLENS.
Pendant sa courte formation en Angleterre, il a pu rencontrer les chanteurs évangéliques américains qui ont un énorme succès populaire. Il adapte leurs hymnes en français et est le principal artisan du recueil de cantiques populaires utilisé dans les salles de conférences.
C’est lui qui est à l’origine des implantations de la Mission dans le sud de la France, notamment à Marseille. En 1879, il cofonde la Mission Populaire Évangélique de France et est considéré comme le successeur probable de MAC ALL.
Pourtant, en 1886, il se déclare insatisfait de la prédication visant à convaincre un grand nombre aux idées protestantes et, probablement sous l’influence de sa femme, fille d’un évangéliste baptiste, il veut convertir et baptiser par immersion à l’issue de ses conférences.
Contre l’avis du Comité directeur de la MPEF. Il milite par ailleurs contre ce qu’il appelle la tendance moderniste du protestantisme français, à savoir la lecture historico-critique de la Bible.
Il crée en 1887 une communauté baptiste, l’église du Tabernacle puis en 1920 l’institut biblique de Nogent sur Seine. Le comité directeur lui interdira de prendre la parole lors des obsèques de Mac All en 1893.
Lui, puis sa fille et son gendre, auront une influence énorme, au-delà du baptisme, sur tout le protestantisme évangélique du vingtième siècle.
À la génération suivante, Freddy DÜRRLEMAN est le fils d’un pasteur Suisse qui compte parmi les premiers permanents de la Mission Populaire où il fera toute sa carrière.
Dès l’âge de onze ans, le jeune Freddy accompagne son père sur les docks des ports de Rochefort et La Rochelle à la rencontre des travailleurs. Il assiste aux conférences d’évangélisation et devient à seize ans responsable des UCJG.
Sa théologie faite à Montauban, il s’affirme socialiste chrétien et est appelé par Élie GOUNELLE à Roubaix pour lui succéder comme pasteur permanent à la solidarité de la Mission Populaire.
À Roubaix, il adhère très probablement au PSU ( parti socialiste unifié, de tendance guesdiste) et prend des positions considérées comme d’extrême gauche dans le mouvement du Christianisme Social.
Peu avant la guerre de 1914-1918, il quitte Roubaix pour devenir directeur de la Société Centrale d’Évangélisation puis, la guerre déclarée, aumônier de la Marine.
En 1920, alors qu’il est de nouveau directeur de la Société Centrale d’Évangélisation, il crée « La Cause » et propose en 1923 de fusionner sous sa direction la Mission Populaire, la SCE et La Cause.
La fusion est refusée par la MPEF, mais une fédération est actée qui éclatera en 1927, date à laquelle Emmanuel CHASTAND devient directeur de la Mission Populaire.
La divergence entre « La Cause » et la « Mission Populaire » se creusera de plus en plus dans les années 1930, la cause s’affirmant huguenote, patriote, militariste et anti bolchévique alors que la Mission Populaire sera à la base œcuméniste, pacifiste et internationaliste même si la direction parisienne la présente à l’époque comme un rempart contre le communisme pour plaire aux financeurs anglo-saxons.
Freddy DÜRRLEMAN, comme Ruben SAILLENS ont trouvé le message de la Mission Populaire trop général et implicite, avec un Christ trop humain et trop proche des préoccupations des contemporains.
Les pistes théologiques esquissées par Dietrich BONHOEFFER dans ses lettres de prison sur la nécessité d’exprimer désormais notre foi, nos convictions et nos doutes, de manière non religieuse me semble tout à fait d’actualité dans nos fraternités.
Puisse la prochaine génération de permanents et de bénévoles y réussir encore mieux que les précédentes.
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